À la recherche de l’orgone perdue ( suite 5)

Elle montra de son index une petite utilitaire blanche à la croix verte. Sa voix suppliante et son regard de biche sous sa frangette semblaient faire fonction de suspensoir invisible. La douleur s’estompa un peu.

– Non, non merci! lançai-je en sortant sans me retourner, ça ira… Au revoir !

Une fois à la maison, les bourses généreusement badigeonnées de cette pommade blanche comme du lait, j’oubliai rapidement ma frustration. La tenaille qui serrait mon chakra intime ouvrit ses pinces. Ce fut l’un des plus beaux moments de ma nouvelle existence de célibataire, comme si j’avais retrouvé mes ailes.

***

Voilà la petite histoire, peu après ma rupture.

Le champion continue ses acrobaties. Les élastiques ont pris deux années d’usure, mais la place précise où tout a commencé me semble la même qu’hier. Pour moi, cela ne fait aucun doute. Cette chute était un signe. Peut-être même une conséquence karmique à court terme. Les bouddhistes y croient. Et j’aimerais croire aussi en leur système moral sans juge. Punition-récompense en fonction de ses actes, dans cette vie ou des vies antérieures. Et si le Bouddha s’est planté, ça reste une belle idée d’équilibre naturel du bien et du mal, sans un dieu qui vous juge et dont certains se croient porte-parole.

Je venais juste  de plaquer Lisa et mon détecteur d’orgone, organe des plus hauts plaisirs sur terre, venait d’être visé. Karma d’homo-sapiens tout simplement.

À l’époque, j’étais plutôt fier de cette race dont la nature m’avait doté de beaux atouts, surtout la race des célibataires dont je venais grandir le nombre. Pas question de faire marche arrière à cause d’un rebord de trampoline. Adieu ma vie de couple minable et sans risque . Adieu les kilos en trop . À moi le sport, les muscles, les femmes prêtes à s’offrir sans bla-bla philosophique comme ces deux superbes anges en blouse blanche qu’Esculape avait placées sur ma route.

Contrairement aux anges imaginaires d’une religion imaginaire, Gaïa et Kléa étaient là, vivantes, à deux pâtés de maison de chez moi ; deux anges de chair et de sang prêtes à me porter secours à domicile, et en tandem.

Le petit sac plastique avec le suspensoir et la pommade m’avait semblé contenir une petite carte au fond. J’avais rouvert la poubelle et tiré cette carte.

« Pharmacie Velpo ».

Je me fis un pari intérieur et allai me faire couler un expresso de ma nouvelle machine à café, mon premier achat de célibataire à cinq cent cinquante euros.

« Kléa, la brune aux grands yeux sublimes sous sa frangette a noté quelque chose au verso, j’en suis sûr. »

Tout en dégustant mon café dans ce petit mais confortable studio au dernier étage de ma tour, je retournai doucement la carte et fermai les yeux…Je caressai de l’index le carton et sentis des irrégularités qui n’étaient pas dues à l’imprimerie industrielle.

Je récitai intérieurement le mantra de gourou Rinpoché. Lentement, je rouvris les yeux sur le bout de papier.

Elle avait noté à la main un numéro de portable. Deux petits smileys aux yeux rieurs terminaient la série de chiffres.

Mon cœur mal entraîné s’emballa de nouveau. Pas besoin d’être graphologue – et je le suis un peu désormais -, pour voir que les deux dessins étaient faits par deux mains différentes, mais complémentaires et inséparables. Un Smiley regardait l’autre dont la bouche baisait la joue, les deux sur fond d’un seul cœur entourant les figures.

Etaient-elles lesbiennes ? Bisexuelles ? Pansexuelles ou autres bizarrerie LGBT ? Qu’importe ! Baignés d’onguent, mes organes se contractèrent dans leur coque devenue trop étroite sous l’œdème grandissant. Une douleur m’empêcha de tenter quoi que ce soit, même une salutaire masturbation de décharge. Cette dernière option était totalement déconseillée par l’urologue de garde que j’avais pris soin d’appeler en rentrant, à cause de l’hématome qui enflait mes bourses, surtout la gauche.

Je bloquai ma respiration, puis soufflai lentement pour détendre mon crémaster de bonobo en manque de rapports sexuels. J’avais quitté Lisa depuis peu, une fille taillée pour la jouissance rapide et en tous lieux, nécessitant au moins trois orgasmes journaliers, dont au moins un clitoridien.

J’avais appris très vite à la satisfaire, chose qui n’était pas très compliquée.

Comment une fille pouvait-elle jouir si vite ? Et tant de fois d’affilée ? Ceci restera pour moi un mystère plus profond que l’apparition de la vie sur terre.

Lisa atteignait très vite le plaisir suprême, celui qui signe l’existence d’un dieu unique, celui auquel croyait Wilhelm Reich, élève rebelle de Freud.

Malgré ses besoins importants en termes de plaisirs charnels, son extase était comme sa personnalité introvertie, plutôt discrète, voire secrète.

Sur notre canapé, au moment d’une énième saison d’un énième épisode d’une série Netflix, elle commençait son système de caresses inéluctables.

Au bout d’une minute à peine, elle attrapait un coussin Ikéa quelconque entre les cuisses et partait dans des gémissements aigus d’une douceur exquise. Parfois, au simple contact de sa joue sur mon sexe cherchant la sortie, un premier orgasme étouffé la secouait doucement.

Son corps svelte tremblait en silence, dans d’aléatoires spasmes de son buste osseux et large. Se frottant comme une chatte sur ma cuisse, je sentais ses petits seins durcir comme deux noix prêtes à s’offrir.

Le prélude à l’évasion du corps par les corps, l’extraction de la chair par la chair commençait.

Elle sortait mon sexe battant la chamade et le happait doucement de ses lèvres musclées de flutiste.

Né à l’aube de l’humanité, cet instrument de musique lui avait valu un prix de conservatoire dans l’adolescence. Pulsant sur ses lèvres magiques comme un deuxième cœur, mon instrument de survie ne m’appartenait plus désormais, il était à cette fille timide et d’apparence coincée dans la vie de tous les jours, mais capable de transformer mon organe excréteur en rampe de lancement vers les étoiles.

C’est comme ça, blotti dans son antre secrète, que je m’abandonnais à sa musique céleste. J’oubliais mon nom, mon prénom, la notion des dates et des lieux. Plus puissante qu’un trou noir, Lisa accélérait les lois de la gravité einsteinienne à chaque caresse, à chaque va et vient de sa bouche virtuose.

Je luttais pour ne pas perdre connaissance. Aspiré par un vortex, Lisa m’éjectait hors de ma gangue corporelle et de l’espace-temps.

J’ai peut-être approché l’orgasme cosmique décrit par Reich, celui qui ne fait qu’un avec la création, sur un simple canapé Ikéa à prix abordable et dont j’ai oublié le nom.

Toujours prête à recevoir mon modeste écho liquide de l’explosion originaire, deux ou trois spasmes secouaient son corps svelte enfoncé dans mes bourrelets. C’est là que jaillissant de mon vit à son apogée, des générations d’ancêtres étaient encore convoquées hors de moi pour rien. Cette giclée généalogique, parfaits inconnus pour la plupart, finissait souvent ailleurs qu’à l’endroit prévu par Dame Nature. Spinoza avait raison. Ne pas culpabiliser, qui est une souffrance inutile, mais comprendre. Tout est Nature.

Mourant chaque soir de plaisir charnel pour mieux renaître à l’esprit, je revenais sur terre avec des tas de questions existentielles sur mon couple. Lisa et Patrick, Patrick et Lisa…Avaient-ils enfreint la loi des dieux de l’Olympe ? Eros, fils maudit d’abondance et pauvreté, serait-il un jour vainqueur de Thanatos ? Je crois aujourd’hui que ce sont ces mêmes questions qui m’ont décidé à la quitter pour en savoir plus.

Pourquoi tant d’intensité pour rien ? Tant d’histoires d’amour partout, à tout âge, pour une seule fin ? Redevenir poussière.

Je jouais les savants-fous comme Reich. J’imaginais le monde et son nombre d’orgasmes à la seconde, j’entendais les cris d’extases, les gémissements d’hommes et de femmes dans une gigantesque orgie planétaire sans savoir s’ils pouvaient couvrir en temps réel tous ceux de la souffrance humaine.

J’essayais de mettre sur une balance imaginaire tout le négatif, meurtres, maladies, etc ; et de l’autre, je plaçais tout le positif. Je fantasmais des éruptions spermatiques géantes, des flots de lave jaillissant du cœur de la terre pour reféconder ce cadavre agonisant de la race homo-sapiens. Règne végétal et animal inclus, je prenais toutes les substances fécondantes de la création qui la maintiennent encore dans cet aléa invraisemblable, cette folie de la nature que les biologistes appellent « le vivant ». Ensuite je retranchais ce total au sous-ensemble morbide des pulsions de mort qui mitraillent continuellement la planète dans tous les sens. Et là, j’avais l’impression que ce vivant minuscule, né à la surface de ce caillou ridicule, cherchait à retrouver le néant. Comme si du fond des temps et de la matière, l’inerte le rappelait à lui.

Freud comparait le nirvana à la pulsion de mort. Est-ce que le Nirvana, l’extinction des passions, n’est en fait qu’une profonde aspiration du vivant à retourner au non-vivant ? Mauvaise nouvelle pour les bouddhistes dont je me sentais, à tort, faire partie.

Mon opération me semblait insoluble, et je manquais encore cruellement de mathématiques pour rester optimiste quant au résultat final.

J’en conclus un axiome simple. Le piège de la vie était trop parfait pour ne pas y tomber. Et cette perfection n’avait d’égale que sa rareté. Leurre absolu du Samsara, la rareté d’une vie humaine, joyau lumineux au milieu des ténèbres en expansion, était le cœur de ce piège.

Il fallait par tous les moyens s’en extirper, et y extirper tous les êtres non encore éveillés.

Je pensais immédiatement aux deux anges qui voulaient me porter secours. Etaient-elles là pour me montrer la voie ? Ou devais-je leur expliquer ma découverte ? À la manière des gnostiques, fallait-il suivre les passions avec elles, les consumer jusqu’au bout pour atteindre Dieu ? Ou bien, à l’inverse, les prendre pour ce qu’elles étaient, le cœur même du piège, et les refouler ?

Je regardai la carte manuscrite, les deux smileys prometteurs de plaisirs défendus…

C’est peut-être pour toutes ces questions que je suis devenu bouddhiste, puis athée, puis soufi, puis un peu plus tard psy, puis encore plus tard malade psy.

Qu’allais-je devenir au milieu de ces jeunes femmes d’une beauté surréaliste ? Est-ce que mon lit loué avec ce meublé serait assez solide pour honorer ces filles à leur valeur ? L’angoisse m’étreignit le chakra de la gorge, en sanscrit Vashuda, où passe la logique et la sagesse.

Comment allais-je faire avec ce suspensoir de plus en plus étroit autour de mes bourses ? Comment allais-je faire avec Gaïa et Kléa, deux corps assoiffés d’amour, taillés pour des olympiades de plaisirs ? Attendaient-elles cela de moi ? 

***

Publié par Seuls dans l'univers, comme tant d'autres...

Ce qui me motive? Vous le découvrirez avec plaisir j'espère ... Merci de votre attention!

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